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Cap21 LRC Toulouse

Vu sa gestion absurde du coronavirus, ce n'est pas de l'État que dépendra le succès du déconfinement

18 Avril 2020, 03:57am

Publié par Corinne Lepage

Les préfets n’ont rien de mieux à faire que de poursuivre les maires qui prennent des arrêtés pour obliger à porter des masques, alors que dans la crise du coronavirus, les collectivités s’adaptent plus vite.

Une femme porte un masque pour se protéger du coronavirus et passe devant une banderole de l'artiste Regis Leger alias Dugudus, remerciant les soignants, les commerçants, les forces de l'ordre, le personnel de la poste et les agriculteurs, le 16 avril 2020 à Paris.

Une femme porte un masque pour se protéger du coronavirus et passe devant une banderole de l'artiste Regis Leger alias Dugudus, remerciant les soignants, les commerçants, les forces de l'ordre, le personnel de la poste et les agriculteurs, le 16 avril 2020 à Paris.

Les relations entre collectivités et État depuis les lois de décentralisation sont très souvent conflictuelles et se focalisent généralement sur trois points: la clarification des compétences, l’allègement des contraintes normatives et les relations financières. La loi NoTRe de 2015 devait améliorer les relations entre État et collectivités, pourtant un sujet devient récurrent dans ces conflits, celui de la protection des populations et notamment les sujets de santé publique.

Soucieux de l’inquiétude de leur population au regard d’un certain nombre de technologies ou de produits, de nombreux maires ont été conduits à prendre des arrêtés pour réduire, encadrer voire interdire un certain nombre d’agissements. Il y avait eu des précédents voici une dizaine d’années avec les arrêtés anti-OGM que l’État avait violemment combattus, avec le plus souvent des succès devant les juridictions administratives. Le fait est que les maires ont finalement gagné puisque la France ne cultive pas d’OGM. Ils avaient simplement anticipé une orientation qui paraissait inéluctable dans la mesure où ces produits n’avaient strictement aucun intérêt pour les consommateurs et les populations. 

La bataille a continué depuis 2017 avec l’expansion du compteur Linky contre lequel de très nombreux maires sont intervenus pour interdire leur pose de force sur leur territoire. Fidèle allié de l’État, le conseil d’État a tranché en sa faveur en considérant que les maires n’avaient aucune compétence pour agir en la matière car la compétence avait été transférée aux communautés de communes et d’agglomération. Ce faisant, il n’a pas eu à trancher sur le fond et en particulier les questions liées à la santé (en particulier l’impact sur les électro-sensibles, les hypertendus, les diabétiques etc.), à l’utilisation abusive des données (reconnue ultérieurement), au risque d’incendie et surtout à l’absence totale d’intérêt pour 98% des consommateurs. Heureusement, les tribunaux judiciaires ont opportunément rappelé que le domicile était inviolable et que Enedis et ses sous-traitants ne pouvaient y pénétrer de force. De plus, certaines communes ont directement traité avec Enedis et ont obtenu que ne soient posés les compteurs que chez les personnes qui l’acceptaient. En conséquence, une fois encore, les maires ont peut-être perdu devant le tribunal administratif et le conseil d’État mais ont néanmoins fait progresser le sujet et défendu leur population.

Avec la question des arrêtés anti-pesticides, le sujet a changé de dimension, la question sanitaire était cette fois-ci indiscutable tant les études accablantes pour la toxicité des pesticides et en particulier du glyphosate se sont accumulées au cours des dernières années. Les tribunaux administratifs ne s’y sont du reste pas trompés puisque même si certains ont donné tort aux communes, cependant que d’autres leur donnaient raison, ils ont quasiment tous admis la toxicité du produit et la carence de l’État à protéger la population. Dans ces conditions, pourquoi avoir validé les déférés préfectoraux contre les arrêtés du maire? Tout simplement parce que l’État, effectivement titulaire d’une police spéciale en matière de pesticides, a voulu faire juger que même lorsque cette police n’était pas exercée convenablement (ce que le Conseil d’État avait estimé dans un arrêt précédent de juin 2019), les maires n’étaient pas pour autant autorisés à protéger leur population. C’est bien entendu gravissime et témoigne d’une double erreur juridico-politique:

- D’une part, la prétention d’un État qui fait de la prévention sanitaire un objectif plus que subsidiaire à interdire aux autorités publiques locales au motif qu’elles seraient “incompétentes”, “non-sachantes” de mettre en place des politiques de prévention

- Une fausse interprétation du principe de précaution qui en quelque sorte ne trouverait plus à s’appliquer à partir du moment où l’État aurait décidé de ne pas en faire usage. 

Le sujet du COVID-19 est une illustration à la puissance 10 de l’“absurdie” dans laquelle nous vivons. Depuis le début de l’épidémie, l’incapacité dans laquelle l’État s’est trouvé de disposer de masques l’a conduit, au lieu d’encourager tous les Français à se protéger autant qu’ils le pouvaient, à nier l’efficacité des masques voire à déconseiller leur usage et à faire croire aux Français (mais qui l’a cru) qu’ils étaient trop stupides pour savoir mettre un masque.

Désormais, non seulement l’Organisation Mondiale de la Santé recommande l’usage massif des masques mais surtout les exemples des pays étrangers démontrent que ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont distribué des masques à leur population et ont testé leurs population pour isoler les malades. Désormais, on sait que le déconfinement est impossible sans masques. Cela signifie que cette politique au minimum stupide sur le plan sanitaire va de plus être catastrophique sur le plan économique. En effet, le déconfinement sera gagné ou perdu à une échelle locale et les villes vont jouer un rôle majeur comme l’a rappelé Carlos Moreno qui, depuis le début de cette pandémie n’a cessé de suggérer de bonnes solutions qui n’ont été adoptées que très tardivement ou pas adoptées du tout. Il n’est donc pas surprenant de voir des villes, à commencer par la Ville de Paris et sa maire Anne Hidalgo, proposer une stratégie de déconfinement le 12 avril, l’État n’ayant pas été encore capable de présenter à l’échelle nationale une telle stratégie.

De même de nombreux maires, aujourd’hui, anticipent le déconfinement, notamment en prenant des arrêtés obligeant le port du masque sur leur territoire à partir bien entendu du moment où ils permettent à leurs concitoyens d’en disposer. Ce qui est intolérable c’est que les préfets n’aient rien de mieux à faire que de poursuivre les maires qui prennent des arrêtés pour obliger à porter des masques et qu’un tribunal donne raison à l’État en considérant que c’est une atteinte aux libertés. Certes, devoir porter un masque est une atteinte à la liberté, mais devoir rester chez soi est une atteinte aux libertés bien plus considérable et si la réduction de cette atteinte en passe par le port du masque obligatoire, merci le masque!

Les collectivités territoriales s’adaptent nettement plus vite que l’État jacobin. S’il existe deux catégories de masques -les masques de protection respiratoire (type FFP2…) pour la protection du porteur, les masques chirurgicaux (masques médicaux) pour la protection de l’environnement du porteur- dont la fabrication est fortement encadrée par un règlement européen, les maires de manière beaucoup plus pragmatique face à une absence de stock, prônent l’utilisation de barrières anti-projections dont l’efficacité ne peut être optimale qu’avec un usage généralisé.  

Depuis le changement de doctrine, chaque employeur, dont les collectivités territoriales, se doit d’avoir un stock de masques pour ses employés. Les collectivités n’y dérogent pas. C’est pour ça que depuis le début du confinement les agents d’entretien de la ville de Paris portent un masque. Ces stocks sont exclusivement limités aux agents.

Néanmoins, pour parfaire les stocks pour d’autres usages, les collectivités font appel à leur réseau pour importer des masques réglementaires. Il n’est pas étonnant dès lors de voir des présidents de région et des maires de grandes villes commander directement des masques. Ainsi, Jean-Pierre Hamon, président de la fédération des médecins de France estime: “Il y a eu une défaillance totale de l’administration centrale sur les masques, c’est normal que les présidents de régions et les maires se prennent en main pour en obtenir”. 

S’il est logique qu’il y ait un contrôle et une gestion des priorités collectives, la réquisition sur le tarmac des aéroports, sans avoir prévenu personne et après l’avoir nié, des masques commandés par des régions, n’est pas logique en dehors des masques FFP2 qui doivent être destinés aux soignants en priorité et dont le circuit de distribution passe par les organes centraux de l’État. 

Les différents reculs de l’État dans la protection des populations et l’incapacité d’un état central d’être prêt face à une crise et pire encore de reconnaître son impréparation sont lourds de conséquence. C’est pour cela que les collectivités se chargent de prendre le relais pour réussir le déconfinement en temps et en heure et c’est en bonne connaissance des territoires qu’elles ont la capacité d’amorcer un redémarrage économique solide.

Et pourtant ce n’est pas la stratégie envisagée, en effet celui-ci réduit autant que faire se peut le pouvoir des maires pendant que dans le même temps le gouvernement augmente ceux des préfets par un train de déconcentration accompagné d’une liberté quasi-totale de déroger à toutes les normes. C’est une hérésie économique, sociétale et politique.

Le caractère de plus en plus liberticide et antidémocratique du fonctionnement actuel de nos institutions est lourd de menaces pour l’avenir politique mais il est à très court terme catastrophique sur le plan de la lutte immédiate contre le covid-19, pour le déconfinement et le redémarrage de l’économie puisque grâce à cette politique, la France risque de perdre un ou deux mois dans la reprise par rapport à ses voisins immédiats qui ont beaucoup mieux géré qu’elle la crise (pays du Nord et Allemagne en particulier et bien entendu par rapport à l’Asie).

Soutenons nos maires et nos collectivités territoriales contre cet acharnement insensé.

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