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Cap21 LRC Toulouse

L'urgence économique ne justifie pas une régression sociale dont le gouvernement a toujours rêvé

26 Mars 2020, 16:07pm

Publié par Corinne Lepage

Si le projet tel que modifié par le conseil d’État et le Sénat prévoit que les mesures prises au titre de l’urgence sanitaire (prévue par la loi pour durer jusqu’au 1er avril 2021) cessent avec l’urgence sanitaire, il n’en va pas de même des mesures prises en ce qui concerne l’urgence économique.

Si le projet tel que modifié par le conseil d’État et le Sénat prévoit que les mesures prises au titre de l’urgence sanitaire (prévue par la loi pour durer jusqu’au 1er avril 2021) cessent avec l’urgence sanitaire, il n’en va pas de même des mesures prises en ce qui concerne l’urgence économique.

Personne ne conteste le bien-fondé d’une loi sur l’urgence sanitaire et permettant de déroger (momentanément) aux règles habituelles pour assurer la continuité des entreprises, le paiement des salariés, les règles de délai, etc… N’est pas davantage contestable sur le principe le report du deuxième tour des élections municipales même si la tenue du premier tour n’était vraiment pas une bonne idée ni sur un plan sanitaire, ni sur un plan politique, ni sur un plan juridique.

Mais, ce texte pourrait bien se révéler un détonateur politique d’une extrême gravité. On n’abordera pas ici la question des élections municipales et des reports divers avec toutes les difficultés juridiques et possiblement contentieuses qui en résultent. Plusieurs points sont problématiques en particulier au niveau des libertés publiques et de leur contrôle. Mais, on ne se limitera ici qu’au point majeur.

En effet, si le projet tel que modifié par le conseil d’État et le Sénat prévoit que les mesures prises au titre de l’urgence sanitaire (laquelle est prévue par la loi pour durer jusqu’au 1er avril 2021 sauf décret pris en conseil des ministres réduisant cette durée) cessent avec l’urgence sanitaire, il n’en va pas du tout de même des mesures prise en ce qui concerne l’urgence économique et l’adaptation à la lutte contre l’épidémie. Bien au contraire, s’agissant d’ordonnances qui peuvent intervenir dans le délai de trois mois, prolongé de quatre mois c’est-à-dire durant sept mois, il est au contraire prévu, conformément à la Constitution, que ces ordonnances doivent être déposées sur le bureau du Parlement dans le délai de deux mois. Il faut rappeler qu’une ordonnance qui autorise le gouvernement à intervenir dans le domaine législatif doit être ratifiée par le Parlement pour devenir une loi. Mais, si elle n’est pas ratifiée, elle reste un acte réglementaire bien entendu applicable. Cela signifie très clairement que le gouvernement entend que des mesures prises au prétexte de l’urgence économique pourraient perdurer bien au-delà du maintien de cette urgence. Et c’est là tout le problème.

 

Si effectivement les ordonnances procèdent à des régressions des droits des individus, droits sociaux ou droits démocratiques en utilisant la crise actuelle, les conséquences politiques vont être ravageuses.

En effet, en regardant très attentivement toutes les mesures qui peuvent être prises, on constate aisément qu’elles permettent de multiples régressions du droit social. Ainsi, le conseil d’État dans son avis rappelle (point 28) que s’agissant de la possibilité de dérogations aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire, au repos dominical ainsi que les conditions d’acquisition des congés payés et d’utilisation du compte épargne-temps du salarié “le législateur ne saurait porter au contrat légalement conclu une atteinte qui soit pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789”. Il exhorte donc le gouvernement à ce que l’atteinte portée ne soit pas excessive. Mais, le caractère excessif ou non est jugé par rapport à l’urgence économique et sanitaire. S’il n’y a plus l’un et l’autre, la mesure n’a plus aucune justification. Or, aucune disposition du texte prévoit sa disparition automatique ce qui signifie bien évidemment que le gouvernement a l’intention de procéder à de profondes modifications de l’État de droit qu’il s’agisse de droit social ou du droit de la démocratie environnementale. En effet, le texte prévoit expressément la possibilité de modifier les règles relatives à la concertation, à la consultation du public et aux enquêtes publiques.

Comme par hasard, on retrouve là une série de réformes dont le gouvernement a toujours rêvé sans oser ou parvenir à les réaliser.

Devant le Sénat, le gouvernement a osé dire que la temporalité allait de soi. Si c’était vrai, pourquoi ne l’a-t-il pas inscrit dans le texte comme il l’a fait pour l’urgence sanitaire? Évidemment, parce que tel n’est pas son intention. On retrouve là, les mêmes arguties que celles qui avaient conduites à refuser d’inscrire dans la loi la date de sortie du glyphosate dont on sait maintenant qu’elle ne se produira pas… une fois encore les promesses n’engagent que ceux qui croient.

Sauf que si effectivement les ordonnances procèdent à des régressions des droits des individus, qu’il s’agisse de droits sociaux ou de droits démocratiques en utilisant la crise actuelle, les conséquences politiques vont être ravageuses. Elles le seront d’autant plus que nos concitoyens ont parfaitement compris qu’ils n’avaient pas été protégés à titre individuel en ne disposant pas de masques, de gants, de gels hydroalcooliques, de tests comme en disposent les citoyens des pays industrialisés et qu’ils n’avaient pas été protégés à titre collectif du fait de la destruction de l’hôpital public, malgré les appels au secours lancé depuis des mois par tous les professionnels de santé, et ce pour des choix budgétaires mettant en exergue d’autres priorités accroissant les inégalités.

Prenons garde qu’aux conséquences humaines, économiques, sociales de la pandémie actuelle ne vienne s’ajouter une frustration légitime tirée d’une part de mesures refusées par l’immense majorité du corps social et d’autre part du sentiment d’être une fois encore considérés comme des imbéciles.

On ne peut pas impunément en même temps appeler au civisme, au sens de la responsabilité, au co-partage de la gestion de la crise et profiter de cette dernière pour faire passer des mesures injustifiées, impopulaires et parfaitement contre-productives sur le long terme.

 

Corinne Lepage

Avocate, ancienne ministre de l'Environnement, députée européenne de 2009 à 2014, Présidente de CAP21/Le Rassemblement Citoyen

https://www.huffingtonpost.fr/entry/lurgence-economique-ne-justifie-pas-une-regression-sociale-dont-le-gouvernement-a-toujours-reve_fr_5e7cb8dcc5b6cb08a92920dc

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