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Cap21 LRC Toulouse

Le nucléaire n'est pas un point de détail de la loi sur la transition énergétique

25 Février 2015, 08:16am

Publié par Corinne lepage

 

La disparition d'un objectif à 2025 pour la part du nucléaire dans le bouquet énergétique n'est pas anecdotique; cet amendement sénatorial vient en réalité sonner le glas d'un engagement présidentiel sur un sujet majeur de la politique énergétique de la France et même de la politique économique de la France.

La poursuite de l'exception française en ce qui concerne le tout nucléaire est suicidaire pour notre économie, notre industrie et notre budget. L'affirmer ne participe en aucune manière d'une posture idéologique mais bien d'une analyse rationnelle de la situation que les tenants de la religion du nucléaire ont abandonné depuis longtemps. Il pouvait paraître en effet rationnel dans les années 70 de se lancer dans un vaste programme nucléaire destiné à assurer l'indépendance énergétique d'un pays qui ne disposait alors que bien peu de ressources énergétiques. Cependant, dès cette époque, la rationalité manquait au moins pour partie, dans la mesure où l'impasse était faite sur les déchets, créant ainsi la dette la plus lourde et la plus inimaginable sur les générations futures.

Mais aujourd'hui s'obstiner dans la même politique relève de l'irresponsabilité, de l'incohérence et de l'irrationalité. Ainsi, comment peut-on dans le même temps soutenir que le nucléaire est une grande filière d'avenir, en plein développement dans le monde, et reconnaître que les 5 milliards de pertes annoncés par Areva s'expliquent par la chute brutale du nucléaire après Fukushima. Comment peut-on soutenir que le nucléaire est la forme la plus avancée d'indépendance nationale alors que ce sont les énergies renouvelables qui permettent précisément une totale indépendance-l'eau, le vent, la biomasse nous appartenant sans contestation possible- alors que le besoin d'uranium nous expose aux grandes difficultés que nous connaissons au Mali ou au Niger.

Comment peut-on prétendre être responsable et préparer sérieusement l'avenir en continuant à subventionner massivement la filière nucléaire alors que le coût du kilowattheure nucléaire ne cesse de monter, pendant que celui des kilowattheure renouvelables ne cesse de baisser. Comment justifier que la France achète aujourd'hui grâce à la ligne souterraine construite dans les Pyrénées une énergie renouvelable à l'Espagne beaucoup moins chère que l'énergie nucléaire qu'elle produit? Pense-t-on vraiment que les choix faits par des entreprises comme E.ON qui a décidé de stocker dans une filiale de défaisance toutes ses activités de production d'énergies fossiles et nucléaires pour ne plus investir que dans le renouvelable et l'efficacité énergétique, soient incohérents et irresponsables? Pense-t-on vraiment sérieusement que le nucléaire est une filière d'avenir, parce que quelques dizaines de réacteurs sont en construction essentiellement en Chine et en Inde, alors que le photovoltaïque et le solaire progressent de près de 40% en 2013 et en 2014?

Comment prétendre être rationnel, cohérent et responsable en ne voyant pas que l'industrie nucléaire va se fracasser sur le mur des investissements à engager pour maintenir le parc nucléaire existant et qu'elle est dans l'incapacité d'investir simultanément dans une prolongation du parc, la réalisation d'EPR et de réacteurs de la quatrième génération. Il va de soi que si Areva était une entreprise privée, elle aurait déposé le bilan depuis longtemps; mais le fait qu'elle soit une entreprise à capitaux publics ne fait en rien disparaître son déficit abyssal, connu depuis longtemps (voir la vérité sur le nucléaire paru en 2011) et qui, d'une manière ou d'une autre, sera assumé par les contribuables, au détriment d'investissements réellement indispensables dans le renouvelable et l'efficacité énergétique.

Mais la situation financière d'EDF si elle est moins catastrophique est loin d'être brillante: 40 milliards de dettes, plus de 100 milliards d'investissements à réaliser a minima pour maintenir un niveau acceptable de sûreté nucléaire, sans parler du gouffre des EPR que bien évidemment aucun Etat dans le monde- sauf la Grande-Bretagne puisque EDF est l'exploitant- n'envisage d'acheter. Cette falaise financière est en réalité infranchissable puisque ni EDF ni le budget n'ont les moyens de la franchir, d'autant plus que les règles budgétaires européennes excluent désormais une aide directe à EDF. Dès lors, sauf à augmenter très massivement le prix de l'électricité, on voit mal comment les investissements pourraient être financés. Il faudrait ajouter pour être complet la question de CIGEO (30 milliards d'euros) et bien entendu le problème majeur du démantèlement non provisionné.

Cela conduit à une question majeure, celle de la sûreté de nos installations. Le bras-de-fer que semble avoir engagé l'autorité de sûreté nucléaire avec l'exploitant démontre les vraies fragilités de notre parc et la réticence croissante de l'exploitant pour respecter les injonctions de l'ASN. Il est vrai qu'entre les fissures, la corrosion des gaines du combustible, les retards dans la mise en place des mesures indispensables en cas d'accident (installations hors de tout risque d'inondation, solution accessoires), la mise en protection des piscines, les difficultés se multiplient et les investissements indispensables au thème de sûreté sont légion. Ce qui signifie très clairement que sans parler même la prolongation de la durée de vie des centrales, le simple maintien d'une sûreté minimale est aujourd'hui en cause.

Dans ces conditions, l'aveuglement autour du maintien du tout nucléaire est une folie. Ce qui arrive à Areva risque d'arriver à EDF en raison de l'impossibilité de faire face à la montagne d'investissements,, dans un contexte concurrentiel ou l'électricité d'origine renouvelable va devenir de plus en plus abondante et de moins en moins chère... sauf qu'elle sera produite par nos voisins.

Et c'est précisément en cela que dans la loi sur la transition énergétique la question nucléaire n'est pas une question secondaire. C'est la question principale. C'est notre dépendance, notre addiction ou plutôt celle de la quasi-totalité de nos responsables politiques à l'électricité nucléaire, qui explique notre retard colossal en matière de maîtrise de l'énergie et notre extrême faiblesse en matière de développement de véritables filières d'énergies renouvelables. L'industrie nucléaire et ses amis puissants et nombreux n'ont eu de cesse depuis 20 ans que de favoriser le chauffage électrique qui est l'antithèse exacte de l'efficacité énergétique, de rendre ubuesque le développement de l'éolien terrestre, et de détruire la filière solaire. Maintenir le même objectif de la toute-puissance du nucléaire conduira au même résultat, même si on peut espérer que les investissements dans l'isolation thermique des bâtiments produiront quelques effets.

Mais c'est une révolution dont on a besoin qui implique la réduction massive de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique, solution qu'à l'évidence ni le gouvernement ni le Parlement n'envisagent.

Heureusement, les initiatives citoyennes se multiplient sur le territoire et la nouvelle ligne Maginot tracée entre la France et l'Allemagne en ce qui concerne la production énergétique voit s'ouvrir régulièrement de nouvelles failles ; par exemple, la première coopération énergétique autour d'un projet photovoltaïque sur un ancien site industriel de Colmar sur financement 100% citoyen dans le cadre du réseau énergie partagé. Espérons a minima que la loi sur la transition énergétique, à défaut de procéder à cette révolution, ne sera pas l'occasion de bloquer les initiatives indispensables pour nous sortir d'une impasse suicidaire dans laquelle nous sommes engagés.

 

Source : Huffington Post

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/le-nucleaire-nest-pas-un--detail-loi-transition-energetique_b_6747484.html

 

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