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Cap21 LRC Toulouse

Non, Monsieur le président d'EDF, l'EPR n'est pas en conquête si ce n'est du porte-monnaie des Français

18 Janvier 2018, 09:07am

Publié par Corinne Lepage

Une fois encore et malheureusement, les autorités françaises font du nucléaire l'alpha et l'oméga de leur politique industrielle et diplomatique

Non, Monsieur le président d'EDF, l'EPR n'est pas en conquête si ce n'est du porte-monnaie des Français

Dans un article publié le 16 janvier 2018 dans Le Figaro, le président d'EDF vante les mérites de l'EPR, la qualité du travail du Creusot, tout en soulignant la solidité du contrat qui lie EDF aux autorités anglaises pour Hinckley Point et en rappelant que le "nucléaire est une industrie de souveraineté".

 

Il faut décrypter. Le nucléaire est une industrie de souveraineté... quand il s'agit de payer. En effet, les seuls pays au monde qui aujourd'hui développent quelques réacteurs nucléaires sont ceux dans lesquels les Etats payent tout simplement parce qu'aucune banque ne veut financer un réacteur nucléaire. Cette énergie est en passe de devenir la plus chère du monde et par voie de conséquence le secteur privé n'y voit aucun intérêt, sans compter bien entendu la question du risque. Il est évident que si l'État français n'avait pas renfloué EDF et Areva, au détriment des besoins élémentaires de nos services publics, Areva aurait déposé le bilan depuis longtemps et EDF rencontrerait de très grandes difficultés. Le pire est à venir dans la mesure où Hinckley Point, qui, rappelons-le, a entraîné le départ de M. Piquemal, directeur financier d'EDF, et la démission d'un membre du conseil d'administration d'EDF, va coûter près de 20 milliards. Il faut ajouter la falaise financière que constitue la mise aux normes des réacteurs nucléaires français et qui ne pourra être financée qu'en vendant les bijoux de famille du patrimoine industriel français, ce qui a déjà commencé dans la plus grande opacité et sans communication.

 

En bref, nous vendons les actions que nous détenons dans des entreprises rentables et d'avenir pour financer une entreprise non rentable et du passé. En revanche, on ne parle plus de souveraineté quand il s'agit, pour des raisons financières, d'accepter des deals avec des entreprises chinoises qui consistent en réalité à leur transmettre ce qui reste de notre savoir-faire. C'est le cas en Grande-Bretagne où le troisième réacteur sera construit par les Chinois. Et nous n'avons pas encore toutes les révélations concernant les entrées au capital d'Aréva...

 

Le soin que prend le président à assurer de la solidité du contrat passé avec les Britanniques s'explique par le questionnement sur les effets du Brexit d'une part (qui fait sortir la Grande-Bretagne d'Euratom et l'oblige en conséquence à remettre en place tout un système de contrôle coûteux et long à se mettre en place) et surtout sur la remise en cause en Grande-Bretagne de ce contrat par tous ceux qui sont affolés du prix délirant auquel le gouvernement a consenti le rachat des kilowattheure nucléaires, prix qui entraînera un surcoût de plusieurs milliards d'euros au détriment des consommateurs britanniques. Les Français sont heureux d'apprendre que la solidité du contrat est garantie par un traité bilatéral passé dans un État tiers, dont évidemment la représentation nationale, ni sans doute la plupart des membres du gouvernement français, n'ont jamais entendu parler.

 

Oser parler de la qualité du Creusot quand on sait que du fait des malfaçons- pour éviter d'employer un terme pénal- l'autorité de sûreté nucléaire a été obligée d'avaler son chapeau et de donner son feu vert provisoire à Flamanville, dont la marge de sûreté a été réduite de 50%, ne manque évidemment pas d'audace ! Et que dire de tous les défauts retrouvés dans les réacteurs français, qui expliquent que jusqu'à 20 réacteurs ont été mis à l'arrêt en même temps. Enfin, n'oublions pas la sympathique société de défaisance d'Aréva, calquée sur le fameux modèle du CDR qui a coûté une fortune aux Français, et dans laquelle a été logée la dette d'Aréva (7Mds, et les risques de l'EPR finlandais -déjà plus de 2 milliards et les dommages qui devront être versés du fait des malfaçons du Creusot-).

Enfin, se glorifier des projets de vente d'EPR à l'étranger rappelle fâcheusement les envolées lyriques de Madame Lauvergeon qui se vantait de 16 projets de vente pour 2015... la France n'a pas vendu un EPR depuis 2007 (mis à part la Grande-Bretagne et qui n'est pas à proprement parler une vente internationale puisque l'opérateur est français). N'oublions pas que le réacteur finlandais n'est toujours pas en service, que Flamanville démarrera peut-être mais en faisant courir un risque inadmissible à la population française et que dans ces conditions, qu'il s'agisse du coût (10 milliards le réacteur) ou du risque, on voit mal quel Etat accepterait aujourd'hui de commander un EPR.

Bref, une fois encore et malheureusement, les autorités françaises font du nucléaire l'alpha et l'oméga de leur politique industrielle et diplomatique pendant que les allemands, les pays du nord, les espagnols, les japonais, les coréens essayent de devenir des champions du monde des énergies renouvelables. Qui se trompe de siècle ?

Corinne Lepage

Avocate,

Ancienne députée européenne Cap21,

ancienne ministre de l'Environnement

 

Source : Huffington Post

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/non-monsieur-le-president-dedf-lepr-nest-pas-en-conquete-si-ce-nest-du-porte-monnaie-des-francais_a_23335973/

 

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