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Cap21 LRC Toulouse

Monsieur Macron, la fin de l'hébergement inconditionnel est une déshumanisation venue du plus haut de l'État

21 Décembre 2017, 13:00pm

Publié par Stephane Gemmani

J'en appelle à vous, à votre générosité, à votre humanisme et à votre indulgence. Vous êtes homme d'esprit, avec cette intelligence aiguë, vive et parfois mordante.

Monsieur Macron, la fin de l'hébergement inconditionnel est une déshumanisation venue du plus haut de l'État

Monsieur le Président,

Lors de votre campagne présidentielle, je me suis penché et investi sur votre programme. J'ai d'ailleurs modestement mais activement contribué à l'écriture d'une partie de celui-ci, notamment dans le groupe "pauvreté".

 

Nous avons même commis une tribune dans l'entre deux tours, qui affirmait que "voter pour vous le 7 mai, c'était voter pour plus de solidarité".

Tribune que je n'ai eu de cesse d'afficher sur mon compte twitter en "tweet épinglé", comme un cri, un espoir, un rappel d'une situation dont je ne voyais pas de signes significatifs depuis le début de votre mandat.

 

L'une de mes contributions, la première, se nommait très exactement: "Pour un hébergement d'urgence diffus, pérenne et inconditionnel..." Tout était dit dans le titre...

 

J'y rappelais que les professionnels comme les associations de bénévoles œuvrant dans le secteur de l'urgence sociale, se retrouvaient confrontés quotidiennement au manque de places disponibles et donc de prise en charge de ces populations.

 

Que ce principe hypocrite de la "gestion au thermomètre" des sans-abri ne devait plus être admissible dans ce "nouveau monde" en devenir. Parce que cette logique qui présidait depuis toujours, et aujourd'hui encore, consistait à abandonner les personnes dès que les températures remontent.

Les gens passent de la rue à l'hébergement précaire, pour retourner à la rue... et n'accèdent jamais à un logement stable. 70 % des personnes qui appellent le 115 sont déjà connues des services sociaux. Sur les dix dernières années, on constate une augmentation de 44 % du nombre de sans-abri, avec 150.000 personnes à la rue lors du dernier recensement. En décembre 2016, seule une personne sur deux est arrivée à obtenir une réponse positive à sa demande d'hébergement au 115.

Je rappelais que les demandes de logement de familles avec enfant augmentent largement d'années en années, et qu'au 115, ces familles représentent maintenant plus de 40 % des appels. Dans la plupart des cas, il s'agit de gens issus de bidonvilles ou de squats régulièrement soumis à des expulsions et donc privés de tout accompagnement social. Or, le parc d'hébergement actuel est conçu sur le modèle de l'homme isolé célibataire. Il n'est plus adapté. L'État recourt aux nuitées d'hôtels où les conditions de vie sont indignes. Et les familles de demandeurs d'asile qui n'obtiennent pas de place en centre d'accueil viennent également grossir les rangs.

L'État a la charge d'assurer à toute personne sans-abri et en situation de détresse médicale, psychique ou sociale un hébergement d'urgence. La loi précise que «toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence", ce qui est loin d'être la réalité.

Le département, qui est chargé d'une mission de protection de l'enfance, n'est susceptible d'intervenir qu'à deux titres. Mais l'État ne peut plus et ne sait plus gérer les nouvelles conditions que la précarité grandissante et que les vagues migratoires successives font de l'hébergement d'urgence. Néanmoins, il se doit de continuer à soutenir des délégations que l'échelle communale et intercommunale doit prendre en compétence...

Nous devions, devons donc imaginer de nouvelles solutions durables comme celle d'un hébergement diffus, permanent et réparti entre les communes sur de petites unités, en fonction de leurs capacités d'encadrement et de leurs moyens.

Dans les années 60, plus de 65.000 personnes vivaient dans des bidonvilles et la France a fait un choix juste en agissant pour la résorption de l'habitat indigne. Aujourd'hui, on estime que 20.000 personnes vivent dans des bidonvilles et beaucoup sont bloquées aux marges de l'hébergement d'urgence. Alors que le défi est sans commune mesure par rapport à ce qu'il fut il y a cinquante ans, les issues semblent plus éloignées que jamais!

L'état doit fortement impulser un principe de quota d'hébergement d'urgence à l'identique de la loi SRU, sur la base du décret du 13 décembre 1994 sur les résidences sociales. Ce décret doit servir de cadre réglementaire à ce type de logement avec quelques adaptations, comme déroger à la règle fixant à deux ans la durée maximale du séjour.

Les lieux éclatés ou diffus correspondent mieux aux besoins actuels des personnes seules, en couple, avec ou sans enfants. Leur situation présente ne leur permet pas de prétendre à l'accès direct à un logement, en l'absence de ressources suffisantes, d'une situation administrative non à jour, ou encore de problématiques de santé ou d'addiction.

De plus, en raison d'une recrudescence en matière de violences conjugales, un accueil de ce type privilégie aussi l'accueil des femmes ayant rencontré cette problématique.

Des habitations communautaires de petites tailles doivent être créées et généralisées pour permettre à des personnes en phase de désocialisation de renouer des liens avec la société. Ce serait des lieux d'hébergement où ils pourraient rester sans limite de temps.

Ils y trouveraient un ou des hôtes qui leur donneraient le coup de main nécessaire pour revivre dignement.

Une répartition diffuse de l'accueil permettrait de développer l'offre quantitative et donc le nombre de places d'hébergement d'urgence nécessaire, sans créer de lieux ingérables ; la petite dimension des lieux permet aussi d'accentuer les aspects qualitatifs des services et de l'encadrement des populations accueillies. Le 115, le SAMU Social ou d'autres partenaires adresseraient des personnes sans domicile fixe (hommes, femmes, de tous âges et familles avec enfants) vers l'hébergement. L'objectif étant de stabiliser des personnes dans un habitat durable et adapté à leur problématique physique, psychologique et sociale. Un habitat communautaire de petite taille, associant la jouissance de logements privatifs à la présence de lieux collectifs pour partager les repas ou les loisirs. Ces structures pourraient également prévoir l'accueil de personnes accompagnées d'animaux.

L'accueil doit se dérouler suivant les prestations définies par la loi. L'hébergement d'urgence doit permettre, dans des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine, de bénéficier de prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène, une première évaluation médicale, psychique et sociale, [...] et d'être orientée vers tout professionnel ou toute structure susceptibles de lui apporter l'aide justifiée par son état.

Lorsque la loi parle d'accueil immédiat et inconditionnel, celle-ci concerne toute personne, quelle que soit sa situation administrative. Les demandeurs d'asile, les personnes en situation irrégulière ou les ressortissants de l'Union Européenne démunis d'autorisation de travail doivent donc être pris en charge, sans distinction de statut administratif en centre d'hébergement d'urgence.

Aucune discrimination ne saurait se justifier légalement pour distinguer les prestations offertes à ce public.

Mais aujourd'hui, votre ministre de l'Intérieur, Monsieur Gérard Collomb, et son homologue de la cohésion des territoires, Monsieur Jacques Mézard, cosignent une circulaire mettant fin à l'hébergement inconditionnel, permettant par la même occasion à des équipes mobiles de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de vérifier l'identité des personnes bénéficiaires d'une place en centre d'hébergement d'urgence, afin de faire sortir les sans-papiers du dispositif, et de libérer des places pour les personnes sans domicile fixe en situation régulière, alors que dans bien des régions, les Samusociaux sont débordés.

Monsieur le Président, j'en appelle à vous, à votre générosité, à votre humanisme et à votre indulgence. Vous êtes homme d'esprit, avec cette intelligence aiguë, vive et parfois mordante.

Et parce que vous êtes cet homme, avec le rang qui est maintenant le vôtre, vous ne pouvez cautionner une telle gestion de ces populations. Cette déshumanisation qui s'opère au plus haut de l'état, est aux antipodes des situations que nous pouvons trouver quotidiennement au sein de nos villes, de nos rues.

N'exclure personne, cela signifie aussi de ne pas oublier d'où l'on vient, et ce que nous voulons laisser à nos successeurs. Le monde compte aujourd'hui 14 millions de réfugiés et leurs histoires, tant individuelles que collectives, témoignent d'une incidence inquiétante des violations des droits de l'homme, de conflits politiques et ethniques, d'un déséquilibre économique et déjà, d'un désastre écologique.

Tant au plan de ses causes qu'au plan de son impact, le problème des réfugiés a de multiples facettes et ne peut être dissocié d'autres grands défis politiques que doit relever notre monde.

En prendre conscience c'est comprendre également la nécessité d'adapter l'action à l'ampleur de la tâche qui consiste à traiter efficacement des questions de réfugiés en gardant au centre des préoccupations les droits et les aspirations des personnes concernées.

Je reste à votre disposition, et je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma haute considération.

 

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