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Cap21 LRC Toulouse

La société civile, dehors !

11 Janvier 2016, 07:10am

Publié par Corinne Lepage

La société civile, dehors !

 

POLITIQUE - Il est pathétique et pour tout dire dangereux de voir comment la classe politique, considérablement aidée par une grande partie des "commentateurs politiques" et autres politologues, s'efforce d'éviter une vraie candidature de la société civile en 2017. Après avoir constaté la forte demande de nombreux citoyens en ce sens, avoir glosé sur l'exemple espagnol, il était bien entendu plus qu'urgent d'intervenir très vite pour éviter toute velléité en France.

Les partis politiques s'y sont mis pour affirmer, dès le soir des élections régionales, que tout allait changer et qu'ils avaient compris le message... une manière polie de traduire le fameux: "circulez, il n'y a rien à voir !". Les commentateurs politiques ont continué. En particulier, lors du "C dans l'air" consacré à ce sujet, les débatteurs ont tous entonnés le même cantique, sur l'impossibilité d'envisager une candidature extérieure à la classe politique pour la présidentielle ou la constitution d'un mouvement proche de Podemos ou de Ciudadanos. Le comble est sans doute atteint par Philippe de Villiers qui pourrait être ce candidat nouveau issu de la société civile!

Il est vrai que le système politique français est fait précisément pour interdire toute immixtion de nouveaux venus. Certes, le Front National est parvenu après 30 ans d'efforts à entrer dans le jeu en se présentant précisément comme le seul mouvement anti système. Mais, il contribue aujourd'hui à verrouiller un peu plus le système existant dont il fait intégralement partie pour qu'un autre joueur, celui qui représenterait la société civile ne puisse entrer.

Outre un système électoral qui exclut la proportionnelle pour les législatives et verrouille pour la présidentielle, deux éléments majeurs jouent contre la société.

Le premier est le système médiatique et le rôle totalement inefficace -ou parfaitement efficace selon- du CSA. En effet, comment expliquer que Florian Philippot ait à lui seul cumulé près de 60 matinales en 2015, que la campagne des régionales ait focalisé sur le FN et deux de ses adversaires à l'exclusion de tous les autres? Comment accepter des règles du jeu qui non seulement ne sont pas appliquées mais de surcroît, sous prétexte de pluralisme, concentrent tous les temps de parole sur les grandes formations à l'exclusion des plus petites, a fortiori de celles qui n'ont pas de représentation parlementaire. Il est évident qu'en refusant la parole à tous ceux qui ne participent pas des partis politiques installés, le CSA et de manière plus générale le système médiatique rendent très difficile l'émergence de la société civile dans le débat politique. S'y ajoutent les dérives constatées actuellement des émissions politiques consistant à ne plus inviter de responsables politiques mais des politologues ou des journalistes politiques, qui sont souvent du reste le conseil de telle ou telle personnalité politique -sans que la question du conflit d'intérêts ne soit jamais évoquée- pour parler des 3 partis politiques dominants et de quelques personnalités politiques. Or, tout le temps de parole consacré à ces partis n'est évidemment pas comptabilisé par le CSA ce qui aboutit à gonfler encore davantage le temps de parole de ces formations. Dans ces conditions, il ne reste que les réseaux sociaux -avec toutes les dérives possibles-, de plus en plus puissants, pour contourner cette omerta très bien organisée.

Le deuxième est le mode de financement des partis politiques. En effet, le système actuel est non seulement pour une partie virtuelle comme l'affaire Bygmalion l'a démontré, coûteux pour les finances publiques et mortel pour les nouveaux mouvements. Rappelons en effet que le financement public se divise en deux parts, la première en fonction du nombre de voix obtenues au premier tour des législatives à la condition d'avoir obtenu plus de 1% dans 50 circonscriptions au moins, la seconde octroyée à hauteur de 40.000 euros à chaque parlementaire qui peut le rétrocéder aux partis politiques de son choix à la condition qu'il appartienne à la catégorie de ceux qui bénéficient du financement de la première partie. Ce système aboutit à permettre à deux ou trois mouvements politiques qui ne font strictement rien sur le plan politique (comme Le Trèfle par exemple) de bénéficier de ce financement public car, en capacité de faire un investissement de départ important, ils se présentent dans toutes les circonscriptions et parviennent ainsi à obtenir 1% dans 50 circonscriptions. Il permet surtout aux grands partis de capter l'essentiel de la manne publique et de pouvoir ainsi se financer de manière assez dispendieuse et se présenter à toutes les élections. En revanche, les mouvements citoyens qui par définition sont nouveaux et composés de personnes qui ne possèdent pas de fortune personnelle n'ont aucune chance de pouvoir entrer dans la danse ou tout au moins d'y entrer en disposant de moyens permettant de jouer le même type de partition que les autres et même de se présenter aux élections. En effet, la règle du remboursement au-delà de 5% comme celle qui met à la charge des candidats les frais de bulletins et de propagande électorale rendent très difficile l'accès à l'élection.

En ajoutant à ce système parfaitement pernicieux le régime électoral qui exclut dans l'immense majorité des cas la proportionnelle, donnant ainsi une toute-puissance au parti dominant de la droite et la gauche, il est clair que notre régime politique exclut toute velléité de la société civile d'entrer dans le jeu.

C'est la raison pour laquelle les primaires de la société civile sont plus que jamais indispensables. Faites par Internet, destinée à faire émerger les questions que se pose la société civile et surtout les réponses qu'elle souhaite apporter, à faire émerger de nouvelles personnalités, avec une expérience autre que politique, ces primaires sont la seule réponse au cadenassage dont elle est la victime. Tout juste bons à voter pour ceux que le système politique a décidé de lui proposer, les citoyens disposeront avec cette initiative d'un moyen de s'investir en politique de manière différente.

 

 

Avocate, Ancienne députée européenne Cap21, ancienne ministre de l'Environnement

 

Source : Huffington Post

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/la-societe-civile-dehors-_b_8950938.html

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