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Cap21 LRC Toulouse

Jusqu'où le nucléo-centrisme hexagonal nous entraînera-t-il?

3 Août 2015, 08:18am

Publié par Corinne Lepage

Jusqu'où le nucléo-centrisme hexagonal nous entraînera-t-il?

 

 

La question mérite d'être posée alors qu'un replâtrage, jugé insuffisant par Philippe Varin lui-même, d'Areva va coûter une fortune aux contribuables français pour renflouer une entreprise immanquablement condamnée à terme. L'arrangement conclu entre EDF et Areva ne sauve que très momentanément Areva, et les syndicats ont du reste été les premiers à l'affirmer. Le nouveau président d'Areva, Philippe Varin a également indiqué que les 2 milliards provenant de la vente -qui n'est pas définitive- de la branche réacteur Areva et le milliard supplémentaire qui pourrait être mobilisé par Areva ne suffiront pas. Le besoin de financement est de 7 milliards et l'entreprise accuse encore une perte de 400 millions d'euros pour le premier semestre 2015.

En réalité, Areva se trouve amputée de plus de la moitié de son activité, l'activité restante à savoir la fabrication du combustible et le retraitement étant très aléatoire (le démantèlement pourrait devenir une activité très rentable mais pour l'instant de manière très paradoxale la France est très mal placée). En effet, l'activité de retraitement ne tient que par l'obligation faite à EDF par l'État -jusqu'en 2023- de faire retraiter ses déchets à La Hague, la quasi-totalité des autres contrats étant arrivée en fin de vie.

C'est une pérennité très relative de l'usine de La Hague alors même que l'industrie nucléaire a fait du Cotentin une région mono industrielle. Rien ne dit que durant cette période tout sera fait pour organiser une nouvelle formation du personnel permettant le maintien de l'emploi sur d'autres activités que les activités nucléaires stricto sensu. Quant à l'activité de production de combustible, elle est doublement impactée par la mauvaise image du MOX, depuis Fukushima et la baisse de l'activité nucléaire au niveau mondial. Dans ces conditions, on ne peut être que très dubitatif sur la pérennité de cette entreprise dans laquelle l'État va devoir, au prix de circonvolutions liées au droit communautaire, réinjecter plusieurs milliards d'euros. Peut-on vraiment considérer que cette stratégie industrielle -si tant est que le mot de stratégie puisse s'appliquer- est défendable?

On peut en douter à tous les points de vue. D'une part, le prix de l'électricité notamment renouvelable a considérablement chuté au point que le prix de vente de l'électricité verte d'ENERCOOP devient plus que compétitif avec l'abandon au 31 décembre des prix réglementés d'électricité pour les entreprises. D'où l'idée de faire payer par les automobilistes un surcoût soi-disant destiné à financer les énergies renouvelables, mais en réalité destiné à faire baisser le prix de l'électricité vendue par EDF pour qu'elle reste compétitive. Au lieu de jouer pleinement la carte de la transition énergétique et d'un choix enfin fait en faveur du renouvelable en France, les milliards des contribuables continuent à pleuvoir sur le secteur nucléaire, mis à part l'énergie éolienne en mer, hyper favorisée pour la seule raison qu'elle est menée par un duopole de grandes entreprises françaises.

Mais cette énergie est très coûteuse il serait infiniment plus utile pour les citoyens comme pour les PME de favoriser la décentralisation énergétique et en particulier le développement de l'énergie solaire par autoconsommation. Au lieu de cela, EDF liquide sa filiale Nexcis qui fabriquait des modules photovoltaïques de couches minces, apportant une fois de plus la preuve de sa volonté de tuer dans l'œuf le développement de filières françaises du renouvelable matures. Autrement dit, sur le plan économique et industriel, les choix qui sont actuellement faits sont purement et simplement suicidaires.

En second lieu, le modus vivendi trouvé entre EDF et Areva présente deux talons d'Achille majeurs. Le premier concerne les conséquences d'Olkiluoto, l'EPR finlandais qui va bientôt fêter ses 10 ans de retard, avec les coûts correspondants. Les conséquences ne sont pas prises en charge par EDF alors même que c'est bien la branche réacteur d' Areva qui est concernée. On peut certes comprendre que sur un plan financier EDF ne veuille pas supporter un coût astronomique, plus de 2 milliards d'euros ont déjà été provisionnés par Areva. Mais cela signifie, compte tenu de la situation financière d'Areva, qu'il faudra bien un payeur.

La Coface, et peut-être demain la BPI, seront bien entendu sollicités avec tous les risques de non-respect des règles européennes. Mais au-delà, si Areva ne peut payer, est-ce le contribuable qui devra acquitter cette dette qui n'est pas la sienne. De plus, EDF devenant actionnaire majoritaire de la société responsable du fiasco, les effets en cascade ne pourront que se faire sentir. Il en va d'autant plus ainsi que le deuxième talon d'Achille est encore beaucoup plus grave. En effet, l'accord passé est subordonné à la poursuite du réacteur de Flamanville, c'est-à-dire en réalité à la validation de la sûreté de la cuve et du couvercle dont l'Autorité de Sûreté Nucléaire a estimé au mois d'avril qu'ils présentaient des anomalies d'autant plus incompréhensibles qu'elles étaient connues au moins depuis 2011 peut-être même depuis 2007.

La légèreté fautive qui résulterait d'une telle attitude si elle était vérifiée, laisse pantois; mais, l'essentiel est bien entendu dans la pression extrême qui va s'exercer sur l'ASN. Son président Monsieur Chevet avait déclaré lors de son audition en avril 2015 à l'Assemblée nationale qu'il ne faudrait pas seulement qu'on ait une appréciation positive sur le sujet si on veut pouvoir démarrer, il faudra qu'on ait une conviction forte, une quasi-certitude. Ce sujet, en fait, est devenu le point majeur de l'industrie nucléaire française. En effet, non seulement, l'accord EDF-Areva en dépend, mais la réalisation des EPR anglais en dépendent également et l'autorité de sûreté chinoise, la NNSA a mis en place une équipe d'experts pour analyser la situation de la centrale de Taishan et l'autorisation de chargement de compartiment ne sera délivrée qu'après résolution du problème. Cela signifie très clairement que l'indépendance de l'ASN va être soumise à rude épreuve car on ne voit pas très bien pour quelles raisons des anomalies détectées en avril aurait disparu en octobre.

Autrement dit, ou bien l'autorité de sûreté nucléaire tient bon, privilégie la sûreté et refuse de valider les cuves ce qui entraîne une cascade de conséquences économiques et financières pour l'industrie nucléaire: ou bien elle cède et prend un risque de rupture de cuve à Flamanville et éventuellement ailleurs avec les conséquences humaines environnementales mais aussi économiques et financières pour un opérateur (très faible au regard de la convention de Paris qui pourrait ne pas couvrir la faute lourde) qui aurait pris un risque en toute connaissance de cause. Mais tout doit continuer comme si de rien n'était!

En troisième lieu, ce strabisme convergent sur le caractère intouchable du nucléaire s'appuie sur le souci d'indépendance nationale, l'excellence française dans le domaine ayant subi quelques soubresauts en raison du fiasco de l'EPR et de la nécessité de reconnaître que malheureusement notre savoir-faire s'est considérablement réduit.

Mais là aussi, la volonté de sauver à tout prix l'industrie nucléaire et plus précisément Areva nous conduit sur la pente fatale de l'ouverture du capital à des sociétés étrangères et en particulier chinoises. On rappellera tout d'abord que la dernière fois que la France a ouvert son capital à un pays étranger, c'était pour vendre 10% du capital d'Eurodif au shah d'Iran et on a pu mesurer depuis 1979 et l'arrivée de Khomeiny au pouvoir, la pertinence de ce choix... Faire entrer aujourd'hui les capitaux chinois au sein d'Areva, même si c'est de manière minoritaire, c'est incontestablement assurer à terme la perte du monopole sur notre technologie et, compte tenu des liens indéniables qui existent entre le nucléaire civil et nucléaire militaire, c'est réduire notre indépendance nationale. Aussi, c'est bien le souci de sauver une entreprise qui n'a plus sa raison d'être initiale qui est en train de l'emporter sur les raisons qui avaient précisément conduit à sa création.

En quatrième lieu, les intérêts de l'industrie nucléaire sont en passe de l'emporter sur tous les autres intérêts au niveau de nos négociations communautaires et internationales. Il faut savoir en effet qu'au niveau communautaire chaque État de l'Union défend un ou deux sujets majeurs pour lui. L'Allemagne c'est l'automobile et la chimie, l'Angleterre la finance, la Pologne le charbon etc.

La France avait traditionnellement deux sujets de prédilection: le nucléaire et l'agriculture. Dans le cadre du plan Juncker pour l'Europe de l'énergie, la France aidée de la Grande-Bretagne qui souhaite bénéficier de dispositions favorables de la part de l'union européenne pour financer ses réacteurs, ont fait capoter le projet d'Europe de l'énergie dont il considérait qu'il ne faisait pas la part belle nucléaire , ce qui est vrai puisque ce sont les énergies renouvelables et l''efficacité énergétique qui étaient bénéficiaires des fonds communautaires. En France, ce comportement très contre-productif est passé totalement inaperçu, cependant que dans le même temps les responsables politiques se gargarisaient de la nécessité d'une Europe de l'énergie. Il semble que dans le cadre transatlantique, la France soit aujourd'hui prête à sacrifier ses intérêts agricoles au bénéfice de ce qu'elle croit être ses intérêts nucléaires. En effet, on ne peut être que très surpris de constater que le gouvernement français soutient le TAFTA, malgré une opposition très marquée de l'opinion publique française.

Pourquoi en effet accepter de brader nos règles sanitaires et alimentaires au bénéfice d'un traité qui avantage avant tout le partenaire américain. Il est une réponse à cela. Areva fait partie des entreprises qui ont sollicité des entretiens avec la Commission européenne dans le cadre de la préparation des négociations ce qui signifie qu'elle est intéressée par un développement aux Etats-Unis. Effectivement, il n'est aujourd'hui pas possible pour des entreprises européennes -mais elles ne sont pas légion à être intéressées par le sujet- d'intervenir seules pour construire des réacteurs aux États-Unis. D'où l'aventure catastrophique d'EDF avec Constellation. L'objectif est d'obtenir dans le cadre du TAFTA, un assouplissement des règles permettant effectivement de construire des réacteurs aux États-Unis, si tant est que de nouveaux réacteurs soient réellement-et pas seulement sur le papier- construits dans les années qui viennent et qu'un feu vert soit donné à l'EPR ce qui n'est aujourd'hui pas le cas. Mais, cet espoir parait suffisant pour justifier l'abandon des intérêts de l'agriculture française au bénéfice d'un hypothétique intérêt nucléaire.

En définitive, qu'il s'agissent des aspects économique, industriel, sécuritaire, d'indépendance nationale, ou d'intérêt d'autres secteurs économiques, la volonté de la filière nucléaire de perdurer dans son être contre vents et marées est en train d'entraîner le pays tout entier dans une spirale particulièrement négative. Mais, la difficulté politique tient à ce qu'il n'y a pas débat. En effet, l'opposition dans son ensemble est encore sans doute plus pro-nucléaire que le gouvernement. Sans doute, dans les milieux économiques -et un article récent du Figaro en témoigne, si même le Figaro s'y met- le doute commence-t-il à percer sur le bien-fondé de cette politique. Mais, les liens très étroits que l'industrie nucléaire entretient avec la plupart des quelques dirigeants qui cumulent les mandats dans les conseils d'administration des entreprises du CAC 40, empêchent à ce jour qu'un véritable débat économique puisse naître. Dès lors, repoussé dans les sphères de l'écologie et de l'extrême gauche (et encore... puisque le parti communiste est tout à fait pro- nucléaire), ce sujet majeur pour notre avenir économique et pour notre avenir tout court n'est de loin pas au centre du débat politique.

C'est bien dommage car nous paierons très cher cet aveuglement volontaire. Et cela l'est d'autant plus qu'une autre stratégie était envisageable. S'inspirer de la solution Eon, créer une société de défaisance pour les actifs nucléaires non transférés à EDF et transformer AREVA en champion de la transition énergétique; démantèlement des réacteurs et surtout champion d'un renouvelable tricolore. Mais pour faire ce choix, encore aurait-il fallu admettre ses erreurs et l'impasse à laquelle elles ont conduit.

Et c'est sans doute le plus difficile !

 

Source : Huffington Post

 

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/accord-edf-areva_b_7923328.html

 

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