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Cap21 LRC Toulouse

En rase campagne

27 Mai 2014, 08:08am

Publié par Corinne Lepage

Enfin, les élections sont passées. "Le mauvais moment à passer" étant derrière nous, les médias vont-ils parler d'Europe et s'intéresser au travail des parlementaires - tout au moins pour ceux qui travailleront-?

Car, au cours de cette brève campagne -si on peut parler de campagne- il a été très peu question d'Europe et du travail des députés européens. Du reste, dans une certaine mesure, la qualité du travail des députés a été inversement proportionnelle à leur présence médiatique. En réalité, par souci d'audimat et de buzz, les médias ont fait la campagne du Front National. Vu de Sirius, tout s'est passé comme si il y avait d'un côté Marine Le Pen et ses propositions, et de l'autre, les 5 partis admis à concourir et mis en demeure de répondre au Front National.

» Suivez en direct les réactions et retombées après les européennes

Dans ce contexte, où l'incompétence de nombreux journalistes sur les questions communautaires s'est liée à une forme de bienveillance et une fascination à l'égard de Marine Le Pen, les Français ont entendu pendant six semaines qu'il y aurait un record d'abstention -ce qui s'est révélé faux- et que le Front national serait le premier parti de France. Ils ont semé le vent; ils ont récolté la tempête -certains en profiteront, ça fait vendre même si la boîte de Pandore est ouverte- et ont pour certains le toupet d'incriminer les politiques qui n'auraient pas assez parlé d'Europe!

Cet incendie médiatique, allumé par des irresponsables, n'est pas la seule cause du séisme que nous vivons. Entre le ras-le-bol de la politique gouvernementale et le souhait de sanctionner le Président de la République, d'une part, et l'institutionnalisation des petits arrangements entre amis d'autre part, les Français qui se sont déplacés ont voulu très clairement dire qu'ils ne supportaient plus les politiques en place. Et, malheureusement, les solutions alternatives proposées dans la campagne par différentes listes citoyennes, de droite du centre et de gauche, n'ont aucunement bénéficié de la possibilité d'exprimer leur programme. C'est ce qu'on appelle l'équité et que le CSA mesure en secondes... Quand, à huit jours de la clôture, il se rend compte que certains n'ont disposé d'aucun temps de parole.

Plusieurs conséquences sont à tirer de ce séisme politique:

La première est l'affaiblissement durable de la France au niveau européen. Affaiblissement au niveau des valeurs que nous prétendions incarner et dont il est devenu hors de question de se parer lorsqu'on est un pays dont le tiers de ses députés européens vient de l'extrême droite. Affaiblissement au niveau politique dans la mesure où dans la nouvelle assemblée, bien peu de députés compteront. Entre les députés absents pour cause de double mandat et d'absence d'intérêt pour la chose européenne, députés inutiles puisque élus pour bloquer l'Europe et qui seront donc totalement marginalisés ou députés focalisés sur le débat national, moins de 10 députés français seront réellement efficaces -soit le poids de la Lituanie-! Sans compter les députés contreproductifs vu leurs liens d'intérêts! Contre plus de 80 Allemands! Affaiblissement global au niveau de l'Europe puisque aux difficultés économiques qui sont les nôtres à l'amoindrissement du poids du président de la République, viennent désormais s'ajouter une marque rouge et une faible représentativité au sein du Parlement.

La seconde est la crise politique majeure à laquelle nous sommes confrontés. Le rejet des partis politiques conventionnels (voir l'article sur la partitocratie) est consommé. Pour autant, aucune offre alternative ne peut être crédible dans un contexte où le pluralisme est un leurre et l'absence de moyens financiers et médiatiques pour de nouvelles formations un obstacle infranchissable. De plus, l'éparpillement a été très pénalisant. Il n'en demeure pas moins qu'avec 1,4 millions de voix, les « petites listes » font trois fois mieux qu'en 2012!

La troisième conséquence est que le terme même du député a perdu tout sens. Ce ne sont pas des hommes ou des femmes (et surtout des hommes) qui ont été élus. Ce sont des représentants de partis. Le parti a supplanté l'individu et le virtuel (promesses totalement irréalisables, propositions irréalistes...) a remplacé le réel (présence effective et travail des députés sortants). Tout se passe comme si le travail des parlementaires était tellement déconsidéré que peu importe sa réalité. Le sens du vote est un rejet profond du système qui se traduit autant par l'abstention que par l'importance du vote FN.

En quatrième lieu, les Français qui étaient un peuple très politique ne portent plus d'intérêt aux programmes et aux projets. Certes, on peut comprendre qu'ils aient été échaudés par des promesses qui n'ont jamais été tenues. Mais, il ne suffit pas d'appeler au patriotisme pour être un patriote c'est-à-dire un défenseur de l'intérêt de son pays. Le comportement de nombre de nos concitoyens est devenu clientéliste. Nous sommes bien loin de la fameuse formule de John Kennedy: "ne vous demandez pas ce que l'Amérique peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour l'Amérique".

La dernière conséquence est la manipulation médiatique tout au long de cette campagne et même dans l'interprétation des résultats. Tout d'abord, il est faux d'asséner que 25 % des citoyens ont voté FN. C'est moins de 15 %. En second lieu, il est faux de parler du raz-de-marée du FN. En nombre de voix, le FN a recueilli 4,7 millions contre 6,4 lors de l'élection présidentielle. Le bouleversement vient de l'affaiblissement massif du PS et relatif de l'UMP, c'est-à-dire la remise en cause des partis traditionnels. Mais pour les médias, il est beaucoup plus vendeur de présenter les résultats comme ils le font plutôt que d'aller chercher la réalité du nombre de voix et les conséquences à en tirer pour le système auquel ils contribuent largement.

Que faire?

Tout d'abord, travailler à concevoir un autre mode d'organisation de l'expression politique. Reconquérir l'intérêt des Français pour la politique, c'est-à-dire pour leur propre destin puis reconquérir leur confiance. Mais ceci ne peut se faire avec le système traditionnel et c'est ce qu'à très bien compris marine Le Pen.

En second lieu, mettre en place une vigie citoyenne sur le fonctionnement des médias. Il ne s'agit évidemment pas de porter atteinte à l'indépendance des journalistes. Mais il s'agit de veiller, en dehors du système institutionnel qui ne joue pas son rôle, de manière très factuelle sur le comportement des médias afin de contrecarrer la désinformation et d'assurer le respect d'un pluralisme qui n'existe plus.

En troisième lieu, et plus que jamais, la société civile doit s'organiser. Certes, les résultats n'ont de loin pas été à la hauteur des espérances; mais un nombre non négligeable de nos concitoyens est à la recherche d'une nouvelle expression de la vie politique. Elle se reconstruira par la base, par la mise en commun des réseaux sociaux, des forces économiques liées à la nouvelle économie, des créatifs culturels, des jeunes entrepreneurs et des milliers de citoyens engagés dans les associations. Beaucoup d'entre eux se sont abstenus. Il faut convaincre que contester ou s'abstenir n'a qu'un temps.

L'heure est trop sérieuse pour laisser l'extrême droite se banaliser davantage et pousser la France à devenir la Corée du Nord de l'Union européenne.

 

Source : Huffington Post

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/en-rase-campagne_b_5394197.html

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