Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Cap21 LRC Toulouse

Que se cache-t-il derrière le rallongement à 50 ans de la durée des centrales nucléaires?

21 Octobre 2013, 12:26pm

Publié par Corinne Lepage

Il est incontestable que, bien que rien ne soit officiel, le gouvernement a décidé de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires. Le premier ministre l'a annoncé mezza voce lors de la conférence environnementale et j'avais immédiatement réagi en soulignant que le financement par la rente nucléaire des énergies renouvelables avait pour contrepartie l'allongement de la durée de vie des centrales.
 
La raison d'être de cette décision est à la fois financière et technico-économique. Elle est financière dans la mesure où mécaniquement elle améliore le bilan d'EDF. La même opération avait du reste déjà été faite de manière plus que confidentielle, en 1999, lorsque que la privatisation d'EDF était en vue. A l'époque la durée de vie des centrales avait été portée à 40 ans dans la comptabilité d'EDF alors même qu'aucune décision particulière de prolongation de la durée de vie n'avait encore été prise. La conséquence de cet allongement de la durée d'amortissement est bien entendue la valorisation de la société et par voie de conséquence le montant que l'État espère tirer de la vente éventuelle d'action EDF.
 
Mais la raison d'être est également technico économique. En effet, le fiasco que constitue l'EPR rend impossible le renouvellement du parc, à la fois pour des raisons financières (à 8 milliards d'euros l'unité, EDF n'a manifestement pas les moyens de multiplier les EPR) et techniques (aucun EPR n'est encore en fonctionnement) rend très improbable la construction de très gros réacteurs et les réacteurs plus modestes ATMEA sont encore dans les limbes. Par voie de conséquence, pour le lobby nucléaire qui a décidé, quelques soient par ailleurs les intentions du Président de la République, que le mix énergétique resterait pratiquement inchangé, la seule solution consiste dans la prorogation à 60 ans des centrales nucléaires existantes. L'objectif est de tenir jusqu'à l'arrivée des réacteurs de la quatrième génération qui ne sont en réalité que la réplique du surgénérateur de Creyss Malville, le CEA restant un défenseur acharné de la filière des surgénérateurs refroidis au sodium.
 
Si on comprend les motifs du lobby nucléaire et le soutien qu'il rencontre de la part du gouvernement, il faut en mesurer les conséquences.
 
Tout d'abord, une prise de risque démesurée, même en prenant en compte les opérations de grand carénage, le vieillissement des aciers et surtout la généralisation de la sous-traitance rendent malheureusement plausible un accident nucléaire en France dans les 20 ans qui viennent. Ce risque est pris en toute connaissance de cause d'autant plus qu'il sera très difficile à l'autorité de sûreté nucléaire de s'opposer, si toutefois elle en avait l'envie, à la prolongation de la durée de vie d'une centrale nucléaire compte tenu des conditions financières qui s'en suivraient pour l'opérateur national. Du reste, le fait que, sans baraguigner, et avec des travaux finalement modestes, l'ASN ait autorisé la prolongation de 10 ans des deux réacteurs de Fessenheim démontre s'il en était besoin, qu'il est bien peu probable qu'une centrale nucléaire se fasse recaler.
 
En second lieu, cette annonce anéantit l'engagement du Président de la République de réduire de 75 à 50 % la part du nucléaire en 2025. Si en effet, le parc nucléaire est prolongé de 40 à 50 ans, avec en plus l'hypothétique mise en service de Flamanville avant la fin de la décennie, non seulement la part du nucléaire en France ne se sera pas réduite mais, compte tenu de la baisse de la consommation électrique, elle risque d'avoir augmenté. Joli paradoxe ! On mesure tout l'intérêt du fameux débat national sur la transition énergétique pour arriver à un tel résultat !
 
En troisième lieu, dans la mesure où le maintien du parc nucléaire serait acté, il serait dressé dans le même temps l'acte de décès d'une industrie du renouvelable en France. Même si la Cour des Comptes a bien été mise dans l'obligation de reconnaître que l'énergie éolienne était rentable - ce qui est un exploit compte tenu des obstacles mis en France à son développement - il est évident qu'il n'y aurait alors plus aucune place pour un développement du renouvelable. Cette situation génère quatre conséquences :
 

  • la France devra payer pour n'avoir pas respecté ses engagements en 2020 à savoir 23 % d'énergies renouvelables dans le bouquet énergétique, objectif qui apparaît d'ores et déjà hors de notre portée.

  • la fermeture de Fessenheim en 2016 est si il en était besoin d'avantage encore compromis, en effet ce n'est plus 6 ans de perte mais 16 ans dont EDF se croira en droit de réclamer à titre d'indemnisation

  • la France fera cavalier seul en Europe alors même que l'Allemagne s'est fixée un objectif de 50% des énergies renouvelables en 2030 et qu'elle atteindra très probablement au moins 30 % en 2020. La France restera par voie de conséquence à l'extérieur du développement des technologies vertes dans le domaine de l'énergie, ce qui montre la parfaite incohérence entre ce choix et les annonces faites par le Président de la République en ce qui concerne le développement des nouvelles technologies. De la même manière, les progrès en matière de stockage de l'électricité qui sont phénoménaux en Allemagne ne présenteront aucun intérêt en France

  • enfin, la France va se trouver en face d'un problème de financement insoluble. En effet, les discussions entre EDF et le gouvernement britannique le montre, il ne peut y avoir de développement du nucléaire sans subventions publiques. La garantie d'un prix de rachat évalué par EDF à 120 € le mégawatt heure qui pourrait tourner autour de 100 € témoigne de cette nécessité. Or, la commission européenne a décidé avec juste raison que le nucléaire ne pourrait bénéficier des avantages consentis par l'Europe en faveur des énergies renouvelables. A terme, la question de licéité de ces aides qui dans tout autre domaine seraient considérées comme des aides d'État, est posée. On ne parle même pas de la limitation du cout de l'assurance.



  •  

Ainsi, alors que nous avons tragiquement besoin des investissements dans de nouveaux secteurs pour créer de l'activité économique et que tous les rapports, d'Anne Lauvergeon à Jacques Attali, préconisent des investissements massifs dans le domaine de la transition énergétique , la décision qui serait prise de généraliser la prolongation de la durée de vie de nos centrales à 50 ans (évidemment à 60) rendrait illusoires ces propositions pour la bonne et simple raison qu'elles ne pourraient pas trouver de rentabilité dans un pays qui en réalité disposerait d'une surcapacité d'électricité nucléaire

 

Source :

http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/que-se-cachetil-derriere-_b_4135091.html?utm_hp_ref=tw

 

 

 

Commenter cet article
M
Bonjour,<br /> <br /> Dans son livre &quot;La vérité sur le nucléaire&quot; paru en 2011 (après le début du désastre planétaire et pérenne de Fukushima) Corinne Lepage écrivait (p. 223) : <br /> <br /> &quot;... la sortie du nucléaire peut-être envisagée sûrement d'ici quarante ans, peut-être même trente.&quot; <br /> <br /> Or, vu l'âge du parc nucléaire français – en 2011, 21 réacteurs sur 58 avaient déjà dépassé les 30 ans, et si aucun n'est mis à l'arrêt définitif entre-temps, 42 auront dépassé les 30 ans avant la fin du quinquennat Hollande – une telle déclaration revenait de facto à cautionner par avance (de manière encore plus certaine que les 20 ans hypocritement préconisés depuis 20 ans pour une &quot;sortie&quot; du nucléaire par les Verts EELV) la prolongation de la durée d'exploitation des réacteurs français au-delà de 40 ans.<br /> <br /> Alors ? Un peu gonflé de faire mine de s'indigner maintenant, non ?<br /> <br /> Si le nucléaire doit être arrêté (pour la &quot;sortie&quot; de la radioactivité, c'est trop tard, mais on peut au moins éviter d'en rajouter), c'est maintenant que ça se passe... et certainement pas dans 10, 20, 30 ou 40 ans.<br /> <br /> D'ailleurs, où seront, dans 10, 20, 30 ou 40 ans, les vénérables experts qui ont encore le culot de préconiser de temporiser ?<br /> <br /> Pour info, on trouve une bonne veille en anglais sur la situation au Japon et aux USA-Canada sur enenews.com. Les titres sont parfois un peu trop sensationnalistes, mais toutes les infos sont sourcées.<br /> <br /> En français, voir fukushima.over-blog.fr ; gen4.fr ; le site de l'ACRO ; le blog de Kna...
Répondre